Séance 3 – Revue de presse

Objectifs :
– Lire des critiques de cinéma.
– Observer le type d'argumentation développé.
– Réfléchir aux attentes d'un.e critique vis-à-vis d'un film et plus largement du cinéma.

Approchons de plus près l'exercice critique à travers l'élaboration d'une revue de presse. Pour cela, il est important de choisir un film susceptible d'avoir été vu par le plus grand nombre et aussi pouvant faire débat. Par exemple, Barbie de Greta Gerwig, sorti en France en juillet 2023 (au moment de l'atelier, un autre exemple plus récent pourra être trouvé). Trois types de critiques pourront être identifiés : une très positive, une nuancée et une autre négative. En plus du travail argumentatif, les jeunes observeront la progression du texte, l'orientation du titre choisi, le contenu du chapô s'il y en a un ainsi que les jeux de mots et autres fantaisies de langage présents dans l'écriture.
L'intérêt à s'appuyer sur un film comme Barbie résulte notamment dans le fait qu'il peut être facilement réduit à un débat de société sur le féminisme, sans que ne soient prises en compte des questions de cinéma. Voyons si les plumes sélectionnées tombent dans ce possible travers.

• Une critique négative : dans Critikat

Prenons pour premier exemple la critique de Josué Morel, parue sur le site de Critikat, intitulée « Rebranding ».
Après une présentation du film mettant en avant son scénario (en quelques mots), et l'ambition satirique de la réalisatrice, le critique pointe les éléments qui ne fonctionnent pas pour lui, à commencer par la dimension comique du film :
« D'abord, et c'est presque le plus gênant, le film n'est pas très drôle, entre gags mécaniques, clins d'œil à tire-larigot et acteurs confinés dans des partitions trop familières (Will Ferrell en CEO idiot, Gosling qui joue de sa rigidité d'automate, etc.). Seule l'excellente Kate McKinnon, avec ses yeux exorbités et son art de la pantomime, sort du lot et vient ponctuellement casser le faux rythme atone dans lequel s'installe le récit, partagé entre Los Angeles et sa doublure de pastel. »
Ensuite, Josué Morel s'en prend à la manière dont le film critique le marketing autour de Barbie et les idées qu'il véhicule en mettant en avant que ce que la réalisatrice apporte comme réponse à ce modèle « patriarco-capitaliste » n'est pas convaincant puisque sa proposition est également marquée par une forme publicitaire qui « fabrique » un nouveau modèle normé :
« (...) les souvenirs des humains qui jouent avec Barbie, ou le montage final compilant les facettes multiples d'une féminité arrachée aux injonctions, baignent dans une esthétique éthérée qui pourrait tout aussi bien être celle d'une réclame pour une confiture ou une complémentaire santé. Le serpent se mord la queue : d'un côté, le film assume dans la dernière ligne droite qu'il cherche à remplacer l'image du jouet par une autre (soit la définition d'une stratégie habituelle des publicitaires : le rebranding) ; de l'autre, il mobilise à ces fins une forme également normée pour mettre en tube son émotion et son propos. En somme, il faut que tout change pour que rien ne change (...) ».
On trouve dans ces mots une explication du mot anglais rebranding qui synthétise parfaitement l'illusion de changement que le critique reproche au film.

• Une critique nuancée : sur le site de L'Obs

On retrouve dans cette critique des arguments similaires à ceux avancés dans la critique négative, mais ici la force du discours féministe progressiste prime sur le côté publicitaire du film.
« Difficile mission que celle que s'est fixée Greta Gerwig : analyser la complexité de la poupée Barbie tout en gardant l'ensemble joyeux et léger. Le film est malin, parfois trop, avec plusieurs niveaux de lecture qui le situent du côté de la comédie intello (on n'aurait pas imaginé par exemple que Barbie fasse allusion à la madeleine de Proust). On pense à « The Truman Show », à « la Grande Aventure Lego », aux « Femmes de Stepford », à « Matrix », même. Gerwig a le courage de se servir d'un blockbuster comme d'une tribune pour marteler des messages féministes, le plus efficace étant sans doute de percevoir notre monde dans toute sa cruauté à travers les yeux de Barbie. Frisson quand les Ken remplacent les Barbie à la Cour suprême, alors que l'on sait que la Cour suprême américaine vient de révoquer le droit à l'avortement, même si le film ne va pas dans une direction aussi noire. Gerwig oppose à la brutalité des hommes (qui sont en fait de petites choses fragiles) une ode aux femmes, leur douceur, leur puissance, leur bienveillance, les jeunes, les vieilles, les mères, les filles et celles qui se cherchent. Ça ressemble à un slogan, mais « Barbie » est bien plus que cela. C'est un film qu'on ne peut pas ranger dans une boîte. Hélas, la vraie ironie, c'est que quoi qu'il raconte, il fera vendre pléthore de produits dérivés. »
Apparaissent ici des références à d'autres films qui parlerons plus ou moins aux participants de l'atelier, selon les connaissances cinématographiques des uns et des autres, et qui renvoient à des fictions mettant en scène des mondes parallèles et à un partage entre apparence et réalité. Avant cette conclusion, la critique Amandine Schmitt prend le temps décrire le film et se pose la question du type de spectateur auquel il s'adresse. Elle se réfère également à l'esthétique camp pour parler du style du film, ce conduira ceux qui ne connaissent pas ce terme à faire une recherche sur ce qu'il peut qualifier, car la critique sert à celle aussi : acquérir des connaissances nouvelles pour mieux identifier un univers, ses références, et le placer dans une perspective historique qui participe à la construction d'un regard critique. Quant à la dimension comique, estimée décevante dans la précédente critique, elle semble jugée convaincante ici bien que davantage située du côté de Ryan Gosling (l'interprète de Ken) que de Margot Robbins (dans la peau de Barbie). L'occasion pour nous de rappeler que le jeu des acteurs reste un élément toujours important à considérer dans le cadre d'une critique.

• Une critique positive : dans Le Point


La critique positive parue dans Le Point et signée Julie Malaure vante les mérites d'un film plus complexe qu'il en a l'air. Elle défend Barbie pour son habileté à aborder le féminisme à partir du patriarcat. La critique se réfère au « cogito » de Descartes (« je pense donc je suis »), et apprécie les idées comiques que l'univers de Barbie inspire à Greta Gerwig:
« Parmi les belles trouvailles du film, l'absence de gravité. Non, Barbie ne descend jamais les escaliers, oui, elle saute dans sa voiture comme portée par une main invisible. Idem, elle prend des douches sans eau et porte à sa bouche des verres vides. Nous sommes bien dans le monde imaginaire de l'enfance. Et l'on retrouve dans le film toutes les poupées existantes ou ayant existé. Y compris, naturellement, des poupées à peau noire ou de type asiatique, ou encore une Barbie gironde, qui correspondent aux campagnes marketing de Mattel de la dernière décennie, pour tenter de mettre au goût du jour le stéréotype de la femme idéalisée. Plus drôle, la réintégration cocasse dans le monde de Barbie de ses échecs commerciaux, comme Skipper, la petite sœur de Barbie, adolescente aux seins qui grossissent, ou la Barbie enceinte... »
Shakespeare est aussi convié pour vanter le mélange de légèreté et de gravité du film. Sa forme même est finalement moins analysée et jugée problématique que dans les autres critiques. Se pose tout de même ici la question d'un possible désintérêt des spectateurs masculins pour « l'univers rose » de Barbie qui n'est pas tant une pique adressée au film qu'à une possible orientation genrée des désirs de cinéma.

Atelier « La forme et le fond » :
• Ceux parmi les membres du groupe habitués à lire des critiques pourront expliquer le sens de cette pratique pour eux. Si aucun jeune ne lit de critiques, pourra tout de même être interrogé le sens que cette pratique peut avoir. Parmi elles, on peut repérer l'attente d'un conseil, d'un encouragement - ou pas - à aller voir un film, mais une critique est-elle comparable à une publicité ou un avis posté sur les réseaux sociaux ? Ne suffirait-il pas dans ce cas-là d'afficher un simple émoji ?
• Cette question du sens pourra être également appréhendée à partir des critiques retenues lors de la revue de presse constituée pour l'atelier. Quelles idées du cinéma semble être défendues à travers elles ?
• Une observation des notes (ou nombre d'étoiles) données sur certains sites sera questionnée. Un film se note-t-il comme une copie d'élèves ? Un critique est-il comparable à un juge, à un professeur ?