La Course nue - Analyse du film

Amère comédie

La Course nue est une comédie, une histoire drôle qui se termine bien : le personnage de Maud Delmas parvient à faire annuler sa dette et trouve même un emploi stable tandis que son petit ami, semble-t-il guéri, peut finalement sortir de chez lui et assister aux matchs de tennis à Roland Garros. Outre cette trajectoire heureuse, le scénario de La Course nue réserve son lot de surprises, déroutant constamment. L’écriture du film est complètement décalée. Le début du film en témoigne : l’organisme de recherche d’emploi communique sur l’interdiction faite aux chômeurs de téléphoner dans ses locaux ; le jeune homme noir est un fin connaisseur de hard rock qui ne peut pas exposer sa peau à la lumière du soleil ; l’entreprise de téléphonie propose un arrangement à Maud parce qu’elle est comédienne… Ce début plante un décor réel et néanmoins étrange. Forgeard tort les clichés. Son penchant pour le comique de situation se double d’une série de jeux de mots, de malentendus et d’un jeu sur les accidents et les différents registres du langage.

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Bizarre, bizarre !

L’atmosphère de ce film à de quoi déboussoler le spectateur : d’abord avec le mystère de l’étrange proposition de Shy Telecom faite à Maud de courir nue, précédé d’un suspense que le titre désamorce… On pourrait dire à propos de cette comédie qui porte bien son titre qu’elle procède par dénudation : elle ne cesse de surprendre, détourner, déshabiller pour mieux révéler. Au-delà des effets de comique pur se révèle un univers banal, grinçant et triste, un univers quotidien que Maud va décider de quitter. La comédie a souvent pour moteur des accidents, des chutes, des explosions ; elle décrit et rend compte de la mécanique du vivant, aussi drôle et tragique soit-elle. Pour bon nombre d’acteurs, le registre comique est plus difficile à jouer que le tragique, car le comique serait moins naturel à l’homme. Un comique réussi n’est jamais seulement clownesque ou burlesque. Il doit pouvoir suggérer toutes les nuances de gris de la vie. Comédie, La Course nue réserve une profonde amertume.

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Pas si absurde

Et passée la première impression laissée par le film, celle de la comédie absurde et de l’effet de surprise, on s’aperçoit que Benoît Forgeard cherche avant tout à décrire le monde moderne tel qu’il est. Exemple : le nouveau forfait de Shy Telecom s’appelle "freestyle", tout un programme quand on sait qu’une fois l’engagement contracté il est bien difficile de résilier un abonnement chez les opérateurs… C’est ce mensonge du monde (un forfait freestyle qui attache), ce double langage vidé de sa substance, cette novlangue qui ne veut plus rien dire qui sont épinglés… Ainsi, pour les dirigeants de Shy Telecom, le streaking est le dernier truc à la mode, un acte révolutionnaire. Ces cadres parlent de révolution alors qu’il s’agit tout simplement d’une nouvelle manière de communiquer, de faire du marketing. Bien des musiques, bien des révolutions ont été ainsi récupérées par le marché. Che Guevara est devenu une icône reproduite sur des T-shirts… Le capitalisme, incarné ici par Shy Telecom, s’approprie, digère et récupère la révolte. A travers ce court métrage, Forgeard nous plonge dans un univers étrange dominé par le spectacle et le simulacre, une société où chacun joue un rôle, où les cadres d’une société se prennent pour les nouveaux Che Guevara et où une comédienne choisit de jouer le surfeur d’argent plutôt que de répéter du Tchekhov.

Donald James, 2010