— Publié le 17/03/2014

Chaumière, Emmanuel Marre

Fiche film

CHAUMIERE un film d’Emmanuel Marre

France, Belgique / 2013 / documentaire /  TS Production, CVB / 70 minutes

Qui n’a pas croisé au bord des routes un Hôtel Formule 1. Ces établissements ultra économiques, lieux communs des zones péri-urbaines, nous parlent d’une façon low cost d’«habiter» le monde. Dans chaque F1 - mais n’est ce pas toujours le même - certains ne font qu’un passage éclair, d’autres séjournent plus longtemps. Derrière la porte de chaque chambre, l’uniformité de l’espace, réduit au strict minimum fonctionnel, met à nu la tension propre à chaque vie humaine : sédentarité́ et nomadisme, excès et retenue, routine et survie.

Ce film a bénéficié d'un soutien à la production de Ciclic-Région Centre.



"Chaque soir, environ 30 000 personnes entrent un code qui leur ouvrira les portes d’une chambre d’hôtel F1. Ces établissements low cost, ultra fonctionnels et standardisés à l’extrême ont fleuri le long des autoroutes et dans les zones industrielles depuis les années 1980. Certains clients, arrivés au milieu de la nuit, repartent à l’aube après un passage éclair. D’autres y restent une semaine ou parfois beaucoup plus. Mais du commercial en déplacement au groupe du troisième âge, de la famille d’immigrés à la femme divorcée, tous auront habité ce non-lieu, identique quel que soit la ville, en s’appropriant l’espace à leur manière.

Divagation poétique

Le jeune réalisateur belge Emmanuel Marre a poussé la porte de ces chambres exiguës et anonymes pour filmer une humanité en transit et recueillir ses confessions contrastées. Des fragments de vie qui en disent long sur nos sociétés contemporaines, sur le déracinement et la peur de la solitude, illusoirement dilués dans un décor immuable."

Source : www.arte.tv

 

Filmographie d'Emmanuel Marre :

- TERRITOIRE (LM)
- LA VIE QUI VA AVEC (2008 - CM)
- MICHEL (2008 - CM)
- CHAUMIERE (2013 - LM)
- LE DESARROI DE L'AGENT DE PROXIMITE APRES UNE JOURNEE DE TRAVAIL (2014 - CM)

Chaumière d’Emmanuel Marre : « Périphérie de ville/périphérie de vie » 

Aux abords des grandes villes de France, parmi l'enfilade des hôtels, hangars et autres grandes surfaces, trône, invariablement, le sigle jaune et noir des hôtels Formule 1. Ces lieux de passage où la promiscuité fait se côtoyer, sans ambages, félicités et sordides engueulades, accueillent quantité de voyageurs occasionnels, ainsi que quelques autres, pour qui la chambre est devenue chaumière.

On retrouve, dans ces logements pratiques et impersonnels aux tarifs et commodités réduites, de Versailles à Dunkerque, le même mobilier minimaliste et son agencement clinique.

Logique mercantile implacable menée par le groupe Accor, premier opérateur hôtelier mondial et magnat des marchands de sommeil autorisés, le cahier des charges récité en amorce du film donne le ton et annonce clairement la couleur. 

Une logique rappelée, si besoin est, par les slogans publicitaires de la marque : " Vous profitez de la vue sur la mer quand vous dormez ? "

Merchandising "décomplexé", cher à une époque où l'hôtel Formule 1 fait office de cour des miracles. Cette diversité, le réalisateur l'illustre minutieusement par le nombre de ses sujets et le temps qu’il consacre à chacun. Courts mais denses, composés principalement de témoignages, ces moments s'enchaînent avec fluidité pour composer un tout, une entité aux multiples visages. Autant d'histoires que de chambres d'hôtels racontant une société, où le liant social, à l’instar du réceptionniste de nuit, fait souvent défaut, repoussant dans les marges les moins heureux d’entre nous.

Emmanuel Marre tourne principalement en plans fixes, plans comme imposés par l'exiguïté des lieux. La seule place possible pour le pied de caméra semblant être au pas de la porte, à l'orée de la chambre et de la vie qui s'y installe un temps. Elle en englobe paradoxalement et symboliquement l'ensemble, la promiscuité des lieux amenant à s'immiscer immédiatement dans la vie de ces inconnus.
Les cadres redondants de ces espaces identiques accentuent la singularité des histoires qui s'y racontent, la chambre devenant une sorte de confessionnal. Composante fictionnelle qui ne dit pas son nom, les témoignages, textes récités en voix off sur un ton plus littéraire, poussent le propos et la pénétration dans l'intime d'une manière assez poétique. Un rythme s’installe.

Du parking de l'hôtel, les chapelets de fenêtres deviennent soupiraux sur autant d'instants de vies, laborieuses, amoureuses, tourmentées, ou simplement anonymes. Une fois filmés de l'intérieur, ces encadrements donnant sur le morne paysage extérieur renvoient à ces êtres singuliers, comme happés par la ville et sa mécanique implacable.

Le film raconte, à sa façon, les affres d’une société contemporaine, où les aléas et difficultés des relations professionnelles ou sentimentales réduisent les gens à une précarité faite de déracinement et de solitude qui fait écho aux récits de réduits miteux des siècles passés. Si le chauffage électrique remplace la lampe à huile et l’écran plat, le manuscrit raturé de l’écrivain maudit, l’on se trouve dans une version moderne de ces contes sociaux, un creuset de désarrois poétiques. Sylvain Gressier

Source : www.cinergie.be