Mémoire cinématographique des territoires

Les nombreux films de famille et films amateurs collectés par Ciclic depuis 2006 permettent d’évoquer en images animées la vie de notre société et de ses territoires, les rapports parfois complexes de la population ou de la cellule familiale face à l’Histoire et aux changements sociétaux. Ils offrent une matière incomparable pour comprendre le monde et ses évolutions, un point de vue spécifique loin de celui des actualités et du documentaire. Ils permettent aux concepteurs de la création audiovisuelle et du spectacle vivant d’enrichir leur travail d’une matière originale et singulière. Ces films, une fois numérisés, montés et documentés, forment également un vecteur de communication incomparable sur le territoire. Ils concourent à la fabrication d’une histoire et d’une identité territoriale. Ils forment un patrimoine mémoriel et un bien commun pour les générations futures. 

Les enjeux de la collecte d’archives amateurs

Ces nombreuses images en mouvement évoquent les différents aspects de la vie de nos sociétés. Elles présentent la singularité d’un point de vue décalé, c’est ce qui en fait leur originalité par rapport aux images professionnelles qui découlent systématiquement de la commande et portent la marque d’un regard orienté. Ces films sont des originaux, il n’existe qu’un seul exemplaire sur pellicule inversible, contrairement à l’activité professionnelle enregistrée sur négatif et basée sur la reproduction et la diffusion. Ces images sont longtemps restées dans la sphère de l’intime, elles ne concernaient que la famille et les proches, à l’instar d’un patrimoine mobilier, elles ont parfois eu à pâtir des legs et des héritages. Trente, quarante ou soixante années après, elles sont parfois le seul vestige d’un passé familial, communal, elles témoignent de manière très vivante de la vie de ceux qui nous ont précédé. Les rares moments de loisirs des années 20 dans une société rurale, les moments de folie de la Libération en 1944 sont deux exemples parmi tant d’autres.

Ciclic souhaite défendre les qualités esthétiques et artistiques de ces films, protéger leur fragile existence et les envisager comme des documents culturels et anthropologiques. Ces petits films ne sont pas seulement des récits anecdotiques, chacun recèle l’essence de son époque, une parcelle d’histoire. Avec le temps, ces images souvent tournées sans autre prétention que familiale ou associative, prennent une valeur documentaire inestimable et restituent au spectateur des événements, des personnes, des paysages, des modes de vie aujourd’hui disparus ou oubliés.

La numérisation haute définition et la conservation numérique composent le seul processus possible pour préserver ces images en mouvement qui peu à peu disparaissent, perdent leurs couleurs ou leur définition pour finir par se tordre et se dissoudre avec l’altération de l’acétate de cellulose.

La constitution d’une mémoire régionale

La France s’est souciée de la conservation de son patrimoine cinématographique à partir des années 60. Auparavant, elle avait laissé ce soin à quelques aventuriers visionnaires comme Henri Langlois, Georges Franju ou Jean Mitry. L’idée de l’existence d’un patrimoine audiovisuel amateur émerge dans les années 80. Aujourd’hui, ce projet est conduit par 18 cinémathèques ou archives régionales en France. L’enjeu majeur de la conservation de ces films est de faire perdurer le té- moignage et le fabuleux éclairage sociologiques qu’ils représentent, s’attacher à sauvegarder des regards singuliers sur une société rurale ou industrielle en cours de disparition ou modification dans le courant de la seconde partie du XXe siècle.

Ciclic se distingue ainsi par la richesse de sa collection sur deux périodes rares : la décennie 1924/1934, période d’émergence du cinéma amateur (269 films de formats 9.5mm et 16mm), la période de guerre 1940-44 (225 films de formats 9.5mm, 8mm et 16mm) où l’interdiction de filmer faite par l’occupant rendait automatiquement ces documents très rares. Le nombre important de films couvrant des périodes originales montre la richesse économique, industrielle et agricole du territoire sur la première partie du XXe siècle, ainsi que la curiosité d’une partie de ses habitants pour les techniques émergentes. La collecte effectuée ces onze dernières années a permis de rassembler des témoignages de la vie quotidienne de l’une des plus grandes régions françaises. La confrontation de ces « mémoires » permet aujourd’hui de contribuer à l’éducation, à la compréhension du monde et de l’histoire contemporaine.

Pour mieux appréhender la diversité deces documents tournés pendant ce siècle,il faut rappeler la variété des compétences techniques des cinéastes amateurs, leurs diverses ambitions cinématographiques, techniques ou narratives, ou encore leurs différences de moyens financiers. Un même événement peut avoir été filmé par le notaire, le médecin, l’instituteur du village aussi bien que l’épicier, le boulanger, le curé ou un membre du caméra-club.

Ces nombreuses images en mouvement évoquent les différents aspects de la vie de nos sociétés, hier et aujourd’hui, les rapports parfois complexes de la population ou de la cellule familiale face à l’Histoire.

Les réalisateurs concepteurs de l’audiovisuel sont friands de ces images nouvelles,dont les imperfections portent la signature de leur authenticité à une époque où la Haute Définition et les effets spéciaux sèment le doute quant à la véracité des images. Les créatifs des arts visuels s’en emparent aussi comme en témoignent les réalisations et les expériences menées chaque année dans le domaine des arts plastiques et du spectacle vivant.

Les spectateurs se délectent des « mémoires filmées », séances préparées etcommentées au plus près de chez eux qui leur permettent de se retrouver ou de découvrir un patrimoine culturel immatériel insoupçonné ou rangé au fond de leur mémoire. Instants de redécouverte avec enfants et petits-enfants.

 

 

La valorisation sur mémoire

Pour exister, un film, une archive doit vivre sur les écrans, être visible, consultable si possible par tous. Cette action, en ce qui concerne le cinéma amateur, ne peut se faire que dans le cadre de l’action publique,en se dédouanant de toute marchandisation à outrance, en construisant un bien commun partageable avec tous : des images pour un territoire, un voyage à travers le temps et l’espace.

Lancé en 2010, memoire.ciclic.fr est l’outil principal de ce dispositif de redécouverte et de mise à disposition auprès des publics. Espace de valorisation qui complète les diffusions publiques, il permet des parcours individuels et un travail collaboratif. Son objectif est de diffuser le patrimoine cinématographique accumulé, de le mettre en valeuret de le faire perdurer. L’appropriation des images par des interventions écrites, l’indexation collaborative avec les internautes abonnés en fait un outil de médiation numérique performant qui entame sa huitième année.

La nouvelle éditorialisation des articles publiés hebdomadairement avec une répartition en quatre secteurs d’intérêt : art et artisanat d’art, industrie-économie, vie sociale-histoire, instantanés de saison, a donné une ligne claire aux publications et mis en valeur des fonds spécifiques. Elle a permis plus d’anticipation dans la programmation et de faire connaître des images originales contenues dans la collection. Les articles sur l’économie et la vie industrielle du territoire ont mis en valeur des activités anciennes, aujourd’hui disparues ou au contraire des entreprises familiales qui ont su perdurer et se développer.

En 2017, l’action patrimoniale de Ciclics’est organisée autour de trois concepts :

  • prendre conscience du territoire, la rencontre avec les habitants,
  • encourager la curiosité et l’ouvertureaux autres,
  • éduquer le regard : mettre le regard au travail, décrire, constater et expliquer.

Le passé est partie intégrante du façonnage de l’identité régionale, la Région Centre-Val de Loire n’en manque pas, berceau du “Royaume de France“, cette région a toujours participé à la construction nationale, les traces visibles qu’elle porte en sont la preuve, le nombre de personnalités qui y sont nées ou l’ont fréquenté est important, ses racines lointaines sont régulièrement promues par le tourisme, les musées, les châteaux. Avec ‘’Mémoire’’, Ciclic ouvre une porte sur un passé plus récent, celui des parents, grands-parents et arrière grands-parents des internautes.

En 2016, à l’occasion des dix ans de lacréation du pôle patrimoine, Ciclic a pu fêter 17 000 films référencés et documentés dont 1 400 heures, accessibles en permanence, gracieusement et sans publicité, sur le sitememoire.ciclic.fr.

L’esprit de ‘‘collection’’ et une meilleure documentation

La collecte de films de famille et films amateurs s’inscrit dans un mouvement de redécouverte du cinéma d’amateur apparu vers 1978, peu à peu reconnu par la Fédération internationale des archives du film, la Fédération des cinémathèques et archives du film de France, le Centre national du cinéma et de l’image animée et l’Institut national de l’audiovisuel. La démarche entreprise depuis 2016 vise à aller vers l’esprit d’une “collection“. D’une part en révélant un certain nombre d’auteur(e)s, pour la plupart des amateurs ayant un réel sens de l’image et de l’écriture audiovisuelle. D’autre part en mettant en valeur par des articles, des publications et des diffusions, des époques ou des thèmes précis.

Une documentation plus précise

« Nul ne consulte une archive sans projet d’explication, sans hypothèse de compréhension » (Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil, 2000), cette phrase ou plutôt cet avertissement de Paul Ricœur nous met en garde sur la qualité et la véracité de ce que Ciclic peut mettre en ligne ou dire lors de ses interventions/diffusions. L’orientation 2017 a été clairement vouée à l’amélioration de la documentation : recherches supplémentaires nécessitées par certains fonds à caractère historique, économique ou technique, qualité des résumés. Le but étant de préciser les contenus, de les vérifier, de les enrichir scientifiquement afin de sortir d’une forme de consultation nostalgique pour toucher également le cercle, certes plus fermé, de la recherche. 

L’avenir des archives passe par la qualité documentaire et la précision de la description, demain les moteurs de recherche ou plutôt leurs successeurs répondront de manière de plus en plus précise aux questions posées. Une meilleure documentation, un langage plus précis, traduisible sans possibilité d’erreur dans d’autres langues, donneront une réponse fiable. En 2017, le service documentation a traité 988 nouvelles fiches documentaires et révisé 792 autres afin de les préciser et les améliorer.

Ces éléments audiovisuels témoignantde l’histoire des communes, de l’histoire du travail et de l’industrie, ou encore de la culture populaire forment un corpus complémentaire des collections muséales des nombreux éco musées de la région. Elles y trouvent de plus en plus une place de choix, faisant vivre par leurs images des objets, des outils et des techniques disparues.

Les enjeux de la diffusion

La diffusion a été également influencée par la décision prise l’an passé d’élever le niveau des informations communiquées pendant les projections. Dans l’esprit d’un parallélisme des formes entre documentation et diffusion, Ciclic a souhaité que les archives commentées par le (les) médiateur(s) atteignent un niveau de précision historique digne de la valeur des collections. En d’autres termes, Ciclic a souhaité sortir du champ de l’anecdote pour entrer dans le discours ethnographique ou historique. Cette ligne éditoriale est perceptible de la documentation à la diffusion en passant par les articles publiés sur memoire.ciclic.fr. 

L’accent a été mis sur les Mémoires filmées, cinq créations au total ainsi que de nombreuses reprises, le suivi de projets à moyen terme pour des travaux mémoriels menés par les communes elles-mêmes et les habitants, une tournée sur quatorze petites communes, à la rencontre des habitants et des équipes municipales. Moments d’échange et de dialogue avec les spectateurs, ces opérations de terrain ne demandent qu’à se développer mais nécessitent du temps et des moyens humains ou des relais associatifs performants. Les outils mis en place par Ciclic, le site Mémoire, la base de données et la chaîne d’accès aux fonds numérisés, sont performants et aident grandement à la participation à la fabrication des programmes.

La création à partir d’images d’archives

Ciclic est à l’écoute des concepteurs audiovisuels et de leurs besoins. La présence au sein de PIAF (Professionnels de l’image et des archives de la francophonie), association qui regroupe documentalistes professionnels et sources d’archives permet de faire connaître l’agence. L’image amateur tient de plus en plus de place dans les documentaires. La singularité et la différence du point de vue, le naturel des situations, l’originalité des images dès qu’il s’agit de la vie quotidienne, sont des spécificités très prisées des cinéastes et des productions. En 2017, la grande majorité des cessions de droits s’adressait à des sociétés de production, l’ensemble des demandes et des ventes ayant abouti a plus que doublé, effet conjoncturel ou résultat de l’efficacité de memoire.ciclic.fr et d’une indexation plus fine. 

Le pôle patrimoine cultive sa proximité avec les acteurs de la création et les scènes qui accueillent régulièrement des artistes mêlant parole et images, djing etvjing, théâtre et images mises en scène. Il accompagne bien sûr les auteur(e)s sur du long terme dès le début de l’écriture dans le cadre de projets de courts ou de longs métrages réalisés essentiellement à base d’images d’archives. Consciente d’être partie prenante du constant débat du conservateur-montreur, Ciclic œuvre en permanence sur ces deux fronts et met ces archives audiovisuelles à disposition d’artistes (cinéastes, plasticiens, musiciens) et concourt à la création d’œuvres et de spectacles projetant un regard neuf sur le passé.

La mémoire d’un territoire se constitue par l’addition des mémoires individuelles. Le pôle patrimoine de Ciclic se conforme aux axes présentés au conseil d’administration le 10 juin 2016 et suit la recommandation de l’Unesco du 27 octobre 1980 pour la sauvegarde et la conservation des images en mouvement.

Circuit des « 3 h de Contres », 1966, Ciclic - fonds Marius Martin