— Publié le 22/03/2022

Lire par temps de peste – #1 Récits de la 15e édition des mille lectures d'hiver

Ciclic a demandé à Aurélien Lemant d'éditorialiser les « carnets de route » de la 15e saison, si particulière, de mille lectures d'hiver ; il vous invite à en vivre la réalité intime. Aurélien Lemant est écrivain, metteur en scène et aussi comédien. À ce titre, il a lui-même été l’un des comédiens-lecteurs des mille lectures d’hiver. C’est dire s’il connaît l’aventure ! Ciclic vous propose de découvrir ce premier épisode de la série...

Lire par temps de peste

« Je mesurais mon darin d’un œil malais, nous six sur le quai à oudir, badir, renurer et vigender. J’aurais voulu qu’un évadon survienne mettant fin à cette broquetelle. »
Anne Serre, in Grande tiqueté

Même Mick Jagger et Dave Grohl l’ont chanté cette année. Comment éviter d’en parler sans paraître à côté de la vie ? Hélas, comment l’évoquer sans avoir l’air de remuer les mêmes cuillers dans les mêmes bouillons ? C’est l’écueil de toute prise de parole des années 20 de ce siècle : le langage, virus lui-même si l’on en croit William S. Burroughs, le langage est virussé.   

Les Mille Lectures d’Hiver ont beau ne pas être un spectacle, et les comédiens qu’elles embauchent pour lire en public ont beau n’y jouer ni théâtre ni pantomime, elles demeurent soumises à des impacts exactement analogues, se rendent à d’identiques arrêts, se glacent dans les mêmes interruptions. Le vocabulaire qui accompagne leur organisation en 2021 est signé du sceau quantitatif des administrations et de lexiques empruntés aux pharmacopées comme aux conseils d’état. Les mots du virus côtoient le virus des mots, et ce dès la prise de contact entre lecteurs et accueillants au téléphone, afin d’être bien certains de se comprendre et se rassurer : on utilise la même langue.  

Boris a fait partie cette année des lecteurs des Mille. Avant même d’arriver sur les lieux où il va lire des extraits d’Augustin Mal n’est pas un assassin de Julie Douard, il a repéré les expressions toutes faites auxquelles nul n’échappe, ces tournures de phrases qui encadrent la pensée, plus exactement qui recadrent les verbes donnant d’habitude vie à cette pensée. Il est question de « scrupuleusement appliquer les règles sanitaires » en cette époque de « restriction », se pose alors le problème déterminant d’« élargir la jauge » ou non, car on craint « de devoir refuser du monde ». Lors de ses pérégrinations, Danièle rencontre soit une maire nouvellement élue qui « s'est lancée dans l'aventure, avec un peu d'inquiétude vu le contexte », soit des fidèles des Mille « dépassées par la difficulté de la mise en place d’une lecture par temps de pandémie », qui « l’attendaient avec angoisse : Y aurait-il assez de monde ? Y aurait-il trop de monde ? Pourrait-elle avoir lieu ? ». Trop de monde…

Depuis décembre 2006, chacune des Mille Lectures d’Hiver reçoit – c’est une moyenne – entre une et trois dizaines d’auditeurs. Le joli défi, on s’en doute, est plutôt de faire venir les écoutants, pas de les repousser à l’entrée ! Victimes de leur succès, amputées de leurs deux-tiers pour raisons hygiéniques, les Mille Lectures 2021 se sont battues de tous côtés, pour rester le plus possible en mesure de répondre à l’intense nécessité des publics de sortir de leur boîte à gens entre deux enfermements : « Nous ne pouvions être plus de 13 dans la salle » relate Mélissa, dont l’accueillante « avait eu peu de réservations, mais craignait encore d'avoir trop de monde » pour sa lecture de Vente à la criée du lot 49 de Thomas Pynchon. Trop de monde… Coraline fait même face à quelque chose d’insolite dans son parcours de lectrice publique, un insolite que CiCLiC a tenu à affronter pour que vive coûte que coûte cette quinzième édition : « Lecture pour deux personnes. Ecoute puissante. », se souvient-elle, Le Livre des reines de Joumana Haddad en mains, citant son hôte : « Je n’arrête pas de penser à ce moment incroyable que tu nous as offert. Quelle chance, mais quelle chance avons-nous eue de vivre ce moment. » « Quatre lectures c’est bien, c’est déjà ça de gagné sur le silence ! » s’exclame Bruno au sortir de son propre périple avec Le Tiers temps de Maylis Besserie. 

Pour les lecteurs, qui en tant que travailleurs de la scène et de l’écran ont connu une jachère professionnelle aux parfois terrifiants contrecoups sociaux, financiers et intellectuels[1], c’est aussi une chance, oui : « Ma deuxième lecture ! Je revis. » avoue Sylvie, alors qu’elle fonce pour une mini-tournée, non plus de dix dates comme à l’accoutumée, mais de trois. Une dame lui confie, alors qu’elle lit Au cœur d’un été tout en or d’Anne Serre : « C’est ma première sortie depuis le confinement et cela fait du bien d’entendre des mots, de voyager avec les mots de l’auteur. » Et Sylvie d’abonder en son sens, en notre sens à toutes et tous : « Je dois dire que cette femme exprimait ce que je ressentais. »

Cela va loin, et ça part de plus loin encore. Adrienne témoigne : « Une femme a fait 100 kilomètres aller-retour pour venir écouter cette lecture, tant elle en avait besoin, besoin d'être ensemble, de partager, d’être réunis. Cette situation inédite engendre des émotions telles que la gratitude, lorsque l'on mesure l'impact de la privation tout prend un relief différent. »

Bien entendu, ce constat fait mal parfois, et Adrienne regrette l’inverse de ce fantasmatique « trop de monde » : « trop de vide » déplore-t-elle lors de l’une de ses lectures de La Fiancée des corbeaux de René Fregni. « La spontanéité n’est pas aussi vive » que lors d’autres saisons, « l’espace entre nous y est probablement pour quelque chose, car les gens ont eu envie de se rapprocher de moi pour me signifier leur plaisir et leur émotion. » Alors, Benoît essaie de tirer la situation à l’avantage d’Univerciel et Un amour, deux recueils de poèmes de Christophe Manon qu’il a choisi de lire. C’est une mise à jour quelque peu forcée mais elle devient un exercice conscient et peut-être bénéfique. Il faut essayer. D’après Benoît, « la distance réglementaire était de mise, ce qui ne favorise pas l'intimité, mais permet de "mettre" les textes un peu plus à distance. » La distance, Caroline la quantifie et la relativise dans un même geste de lectrice : « en étant à plus de deux mètres des premiers auditeurs » (précisons que c’est plutôt beaucoup, par comparaison avec la majorité des Mille lectures qui se donnent d’ordinaire) « ce fut un bon moment, en petit comité, mais tout à fait dans l'esprit des Mille Lectures d'Hiver. » Caroline lit Sur les ossements des morts de la Polonaise Olga Tokarczuk, et repart avec un marque-page sculpté dans de l’os, discret mais inoubliable présent qui lui est remis par un auditeur en hommage au titre du livre. Une revanche sur le squelette qui nous attend.

Se donner des objets comme ça, par temps de peste, cela relève du défi. Anne-Elisabeth l’observe, les yeux au-dessus de son exemplaire de L’Arbre-monde de Richard Powers : « Nos gestes sont méticuleux. Nous faisons attention. » Si usuellement nombre de comédiens apportent des ouvrages des auteurs lus pour inviter les publics à y jeter un œil, il est évident « que peu de monde osait prendre les livres exposés en main. Ils venaient voir les titres de près, les prenaient éventuellement en photo, mais ne les feuilletaient pas. Les conséquences de la pandémie s’immiscent partout et déforment les gestes les plus simples et les plus anodins. » L’authentique contrebande, elle se trouve du côté de la lecture en tant que moment volé dans le moment, temps arraché aux temps : Thomas lit Ma reine de Jean-Baptiste Andrea, et « tout le monde était heureux d'être là, une auditrice était même étonnée que cette lecture ait pu avoir lieu alors que les théâtres sont fermés » ; tout a beau se réaliser dans un cadre officiel où l’on peut demander aux lecteurs « de garder le masque à titre d’exemple », « les quelques personnes présentes sont des habitués qui viennent un peu comme en résistance », dans ce que les comédiens entrevoient comme « des lectures de clandestinité, des lectures calfeutrées. Avec des rencontres toutes avortées d’accueillants préoccupés, qui vont avoir l’air de consommer cette lecture comme un alcool de prohibition. »

Isabelle lisait Nous sommes à la lisière de Caroline Lamarche. Elle se souvient : « A la fin de l'échange, quelqu'un me demande de parler de la situation de la culture, ce que je fais. Une femme me dit "vous vous plaignez tout le temps." Je lui fais remarquer que nous appliquons à la lettre ce qui nous est demandé : distance, gel, masques, et que nous sommes heureux de pouvoir, malgré tout, venir lire. » François écrit, grandi de son expérience transbahutée hors des normes usuelles vers de nouvelles obligations extraordinaires : « Je suis très content donc de cette campagne de lecture, merci encore de l'avoir permise, elle n'aura pas été rien loin de là, en tout cas pour moi elle reste très instructive. » Et parfois, au contraire, tout lui aura paru rouler sur les sentiers connus, au point que cela passe presque pour fantastique : « Le fait que cette lecture était comme "d'habitude" j'allais dire, grâce aux esprits mesurés des gens présents, nous laissa un sentiment intemporel, une échappée réelle dans ces moments cadenassés. » François a lu Extrêmes et lumineux de Christophe Manon. Sarah, elle, se rappelle que « c’est un moment assez étrange, un peu irréel, je crois qu’il y a un tel besoin de s’évader que chaque moment volé à la dépression ambiante est comme une petite victoire. Je les regarde » dit-elle de lycéens, « ils sont tellement vivants. »

Pour Michèle Fontaine et CiCLiC, c’est ainsi un pari relevé au-delà de tout pourcentage que d’avoir su offrir et maintenir ces événements, ici par exemple dans une bibliothèque où « le gel trônait à côté des piles de livres et des dessins d’enfants ». C’est même pour chacun une « grande joie de pouvoir enfin partager ce texte » qu’ils ont « cru un moment ne jamais pouvoir lire en public » tant tout est resté incertain, bouleversé parfois jusqu’à la dernière minute comme l’expliquent Bryan qui lisait En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis ou Jean-Christophe avec Le Monde sans vous de Sylvie Germain : « Nous nous sommes joints à plusieurs reprises car les annonces présidentielles risquaient d'annuler la lecture » écrit Bryan, rappelant les va-et-vient de Julie Germain et Michèle Fontaine, suspendues au téléphone avec les quarante comédiens-lecteurs aussi bien qu’avec la responsable de tel centre culturel, pour savoir si une lecture serait possible ou pas. « J'étais un peu stressé évidemment. Et puis rapidement j'ai senti que ça me faisait un bien fou. Être debout face à des gens qui écoutent. Se laisser transporter par l'émotion du texte. Partager des ressentis, des idées. » « La lecture a lieu et commence à 15h » raconte Jean-Christophe. Un comble à la fin de la rencontre, « les portables se rallument et j'apprends que la lecture n'est pas autorisée par la préfecture mais il est trop tard, l'avis est arrivé pendant que je lisais. Nous sommes dans un autre temps, nous voyageons très loin ensemble. Espace-temps. Les avis et décrets se sont brisés sur ce silence ». D’autres fois, les lecteurs ont pu voir leurs tournées garanties in extremis « par l’amie de l’accueillante d’origine, qui quant à elle ne pouvait plus gérer la lecture car son conjoint était positif à la covid » ou grâce aux démarches conjointes des forces en présence, CiCLiC s’escrimant sept jours sur sept à inventer des solutions en temps réel à des soucis renouvelés et amplifiés par la crise et son virus.

En tant que lecteur public, on s’en doute, Jean-Christophe est souvent habitué à des auditoires plus denses et resserrés. Mais le changement de configuration redistribue les difficultés : le stress n’existe pas moins devant les petites assemblées. Ce n’est pas le même, c’est vrai. L’épreuve est davantage mesurable sur les visages moins nombreux, c’est vrai aussi. « Cinq personnes, une grande salle, grande distance, j'ai un peu le trac dans cette lecture que j'ai l'impression de faire dans un contexte de science-fiction. Nous sommes tous abasourdis, sonnés, étonnés de nous retrouver là autour d'une lecture. Elle existe malgré tout. Il y a plus d'un an que cette relativement grande bibliothèque n'a pas organisé d'animation. » Couvre-feu oblige ce soir, « nous savons que notre temps est compté après la lecture, nous échangeons. Essayer d'affronter tout ce qui nous retient, nous empêche. C'est aussi à l'intérieur que cela se passe. Important de parler, être heureux d'échanger, d'être simplement là autour de cette lecture. Sylvie Germain nous y aide, elle m'aide, je crois que nous nous faisons tous du bien. »

Cette complicité qui confine à la compassion, elle apparaît aussi sous d’autres formes, par exemple comme esprit d’équipe et camaraderie, Bruno le prouve : « Disons que ce ne fut pas une année facile, mais on a quand même, je crois, tenu le truc, et ça c’est bien ! C’était une année où l’on avait besoin de faire corps avec l’aventure, de s’épauler. Il se trouve que ce premier jour de lecture correspondait aussi au premier jour de mon camarade Antoine, et l’un et l’autre on a décidé de s’y accompagner pour le soutien. Moi ça m’a fait du bien. »  Pour Bruno, le cœur et l’ambiance de ces tournées « c’est ça, plus que tout le reste. » Ledit Antoine, quant à lui, c’est Les Abattus de Noëlle Renaude qu’il va lire : « On respire, on parle avec des vraies gens et même que personne ne se trouve derrière un écran.  Oui, bien sûr il y a les masques… A ce propos, c'est étrange et mystérieux, cet échange muet, par moment, qui ne passe que par les yeux... Le reflet de l'âme… Peut-être ? »

Ah, les masques. Le masque. Accessoire par excellence du comédien, qu’il soit sculpté à même la chair du sourire, ou noué derrière les oreilles, taillé dans du bois, du cuir ou du plastique, alliance du plâtre et du papier mâché, nez de clown ou bouille d’Arlequin. En art dramatique, le masque n’est pas l’ennemi mais l’auxiliaire de la sincérité, son support de plus. En lecture publique, il ne saurait déroger à cette loi physique. L’Irlandais John Boyne a écrit un livre qui s’intitule Les Fureurs invisibles du cœur, que Danièle a pu dire dans ces conditions science-fictionnelles invoquées par Jean-Christophe : « J'ai testé pour cette lecture le dispositif du guichet en plexiglas qui était disponible dans la médiathèque, ce qui m'a permis d'enlever mon masque, et tout le monde en a été content. » La fine barrière translucide derrière laquelle s’assied Danièle est une autre manifestation imprévue du masque. Son métier d’actrice lui ordonne de faire face et elle s’acquitte de l’exigence technique dans ce castelet de marionnettes où tous peuvent enfin accéder à son visage.

« Tout le monde est masqué y compris moi », précise Yvan avec dérision, ajoutant, dans une fausse jubilation de marathonien, qu’il a « réussi à rentrer chez [lui] à 18h sonnantes ! ». Le livre qu’il a défendu cette année, c’est L’Amour est très surestimé de Brigitte Giraud. L’amour ? La mort aussi, mais on est tous d’accord qu’il vaut mieux ne pas faire courir de risques aux personnes qui ont le cran de venir entendre des livres dits à haute voix, c’est-à-dire des mots qui créent des courants d’air et la circulation des idées autant que des microbes : si elles sont là, ces personnes, c’est justement pour se sentir vivre.

Les publics eux aussi ont leurs méthodes et se voient proposer des mécaniques de protection et de disposition dans l’espace. Guy Frédéric installe pour eux « le coin-lecture dans la salle des fêtes » avec les accueillants, « c'est-à-dire que nous plaçons sept chaises qui semblent perdues dans l'immensité du désert… ». Il va lire Grande Tiqueté d’Anne Serre. C’est une œuvre qui prend à revers toute tentative de céder malgré soi au jargon bureaucratique et médico-légal, rédigée dans une langue que n’auraient reniée ni Lewis Carroll, ni Henri Michaux, une écriture qui interloque et chavire tous les registres et se fout avec effronterie de la gueule des mots salauds. Ces mots qui ne sont pas forcément du français mais que tout le monde comprend – non pas qu’on les ait entendus dans une chanson rock, non. Plutôt dans des allocutions ministérielles ou des alertes qui clignotent en couleur sur votre téléphone. Isabelle déboule chez des officiels qui « veulent à tout prix éviter un cluster ». Or, qu’est-ce donc qu’une Lecture d’Hiver, sinon un « foyer de contagion » en effet, où la seule maladie qui se refile est la Connaissance en partage ? Cette infection, on ne reculera devant rien ni personne pour la voir se répandre, elle est porteuse de vie et réanimatrice de destinées. Isabelle, toujours : « Le groupe devait être de six à sept personnes, malades, empêchées. Finalement quatre. L’accueillante me dit "Vous allez lire ?..." Mais bien sûr !!! » La seule chose qui passera, ce sera la littérature.

Dans ce désordre inopiné, où des remises en ordre sournoises s’imposent par en-dessous, à ensemencer à l’avance les discussions de « couvre-feu »« attestations pour déborder sur l’horaire » et autres « vaccinations », des solutions ont émergé comme elles pouvaient, Michèle Fontaine permettant aux traditionnels accueillants particuliers de transiter par des structures tierces – mairies, entreprises, salles associatives –, pour faire venir les comédiens, non plus chez eux, c’était contraire aux logiques de confinement, mais dans des lieux assez grands, capables d’agencer une telle manifestation. Ces gens ont parfois rendu faisables des lectures jusqu’à devant vingt personnes. Poétiquement, CiCLiC les a baptisés « Particuliers Ailleurs », ces passionnés engagés pour la lecture qui ne pouvaient plus recevoir quiconque dans leur appartement ou leur maison. « Particuliers Ailleurs », on dirait un titre d’album de pop française. Julien en fournit un exemple, pour l’une de ses quatre prestations autour de Pas dupe, d’Yves Ravey : « D'habitude, elle reçoit une Mille Lecture d’Hiver chez elle. Comme cette année ce n'est pas possible, elle a proposé au centre socio-culturel d'accueillir cette lecture. La majorité des auditeurs et auditrices n'avait jamais assisté à une lecture à voix haute, ce fut donc une découverte. De même, le centre socio-culturel a maintenant envie de devenir accueillant. »

Et puis voilà autre chose, qui voit les arythmies et les anormalités se concurrencer jusqu’à devenir, au choix, un bordel de banalités quotidiennes ou une succession de cocasseries qui feraient passer l’épidémie au troisième plan (c’est l’un des buts avoués) : « J'arrive au lycée à l'heure du déjeuner prévu à la cantine pour faire connaissance avec mon accueillante, dans une ambiance très étrange. L'établissement est en train de découvrir qu'il y a de toute évidence une intoxication alimentaire .... certains internes malades depuis le matin, les classes se vident, les parents viennent rechercher leurs enfants. Même certains professeurs commencent à se sentir mal... dont mon accueillante. Mais la lecture se fait. L'accueillante refera appelle aux Mille Lectures, je pense. Elle semble convaincue des bienfaits du projet ! On oublie parfois en ces temps covid que d'autres évènements peuvent arriver, qui n'ont aucun rapport. Et parfois, c'est peut-être idiot, mais cela fait du bien ! » Ce jour-là, malade ou pas, Tiphaine leur a lu La Géante, de Laurence Vilaine.

« C’est curieux, ça fait un an maintenant. On ne s'attendait pas à ce que ce soit aussi long. » réalise Marion, sans doute un peu hébétée par le constat rugueux, violent, acté par le calendrier. L’an passé à la même époque, cent quarante-huit lectures connurent une annulation à cause du corona et de ses incertitudes virales, ce fut donc déjà une déception : si les contrats de travail ont été respectés et que les comédiens ont tous été rémunérés comme le prévoyait leurs tournées, la covid a contraint à moins de rencontres donc à moins de joies partagées, or moins de lectures c’est moins de livres et vice versa. Et puisque l’on parle de livres, Marion en soumettait deux à ses auditoires, Lapetitegens et C’est curieux. Chacun est d’Isabelle Poinçon. Choisir de lire deux titres plutôt qu’un, cela arrive depuis la première édition des Mille Lectures d’Hiver en 2007, mais ce n’est pas si fréquent. Cela ne s’applique qu’à la lecture de recueils de poésie, ce qui répond à une quête intérieure de lecteur ou lectrice, autant qu’à un échange avec la direction des Mille, c’est vivace et ouvert en amont de la tournée, avant d’épouser un code auquel on ne se dérobera pas : on ne décide pas de lire ce soir tel livre plus qu’un autre, et demain l’inverse en fonction de ce que l’on pense du public que l’on va rencontrer, au contraire on lit bien des extraits des deux ouvrages, parce que l’on désire faire connaître à tous les mêmes passages, c’est une forme d’égalité, et puis en tout état de cause, aucun public, si ressemblant soit-il au précédent, ne réagit ou ne discourt de la même manière, avec les mêmes sensibilités, souvenirs ou énergies. C’est prouvé à chaque fois.

« Dire que j’ai le trac !
Lire avec un masque
Lire de la poésie
Sortir de chez soi
Dire que j'ai le trac et que je ne suis qu’à quelques pas de la maison
Rien n'est habituel
Depuis de années je participe aux Mille Lectures d’Hiver.
Depuis des années ces lectures sont de grandes occasions.
Partir loin
D'habitude c’est ma grande tournée annuelle.
Le dépaysement se vit en région Centre
Aujourd'hui je lis
C'est à 10 minutes de chez moi
’’Et puis la lecture était bien dite aussi, donc c'est agréable, même avec le masque on vous entend’’.
J'avais presque oublié, le masque. On s'habitue ? »

La question est rhétorique : non, on ne s’habituera jamais à rien. Car rien n’est d’avance jamais ni perdu, heureusement. Ni gagné, hélas.


 


 Fin du premier épisode.

Les parutions à suivre s’inspirent directement des carnets de route des lecteurs-comédiens des Mille lectures d’hiver. Leurs contributions figurent en caractères gras italiques. Pour la richesse de leurs récits, remerciements à Boris Alestchenkoff, Mélissa Barbaud, Ulysse  Barbry, Bénédicte Bianchin, Sylvie Boivin, Adrienne Bonnet, Coraline Cauchi, Yvan Chevalier, Jean-Christophe Cochard, Fabienne Courvoisier, Bruno De Saint Riquier, Caroline De Vial, Thierry Debuyser, Isabelle Destombes, Pierre Fesquet, Françoise Forêt, Stéphane Godefroy, Richard Graille, Tiphaine Guitton, Sarah Haxaire, Nathalie Kiniecik, Baptiste Kubich, Leïla Lemaire, Martin Lenzoni, Yann Lheureux, Thomas Lonchampt, Benoît Marchand, Marion Maret, Antoine Marneur, Danièle Marty, Laure Pasques, Julien Pillot, Lélio Plotton, Bryan Polach, Anne-Elisabeth Prin, Ismaël Ruggiero, Guy Frédéric Schwitthal, Marion Souillard, Anne Trémolières, Elise Truchard ainsi qu’à tous les accueillants et leurs invités.