Du 10 au 14 janvier 2022, le pôle patrimoine de Ciclic Centre-Val de Loire a été le bastion d'un nouveau projet : "Arrêts sur Images". Voguant entre la tradition du spectacle vivant et l'avant-gardisme du théâtre ambulant cinématographique, la Compagnie Jamais 203 nous propose de partir à la rencontre de Suzanne et de son histoire au coeur des villes et villages.
C'est tout en justesse que Didier Grignon, metteur en scène et cofondateur de la Compagnie Jamais 203, a accepté de se livrer au jeu des questions réponses pour nous expliquer les contours de cette nouvelle création qui prendra vie d'ici quelques semaines. Alors, on marque un arrêt et on revient en images sur un projet qui laisse place aux pellicules de notre histoire.
Didier, pouvez-vous nous définir le projet "ARRÊTS SUR IMAGES" ?
"Depuis 25 ans, je vis et travaille avec la Compagnie Jamais 203 en milieu rural et j’ai pu constater que la déshérence des campagnes en Sarthe et ailleurs s’est considérablement accélérée ces 15 dernières années. Partout en France, des villages se meurent, leurs commerces sont fermés et ne seront jamais remplacés. La désertification des centre-bourgs est une réalité."
« ARRETS SUR IMAGES » est une nouvelle étape de ma démarche artistique au sein de la Cie Jamais 203 qui me permet de développer un nouveau processus de création : le Théâtre Documentaire. A partir d’archives, de fonds cinématographiques amateurs projetés dans des vitrines de magasins à l'abandon et de récits de vies écrits et sonores déjà collectés, je veux aujourd'hui oeuvrer pour des créations sur mesures en résidences d’immersion au coeur des villages. Avec cette création Ciné-Théâtrale déambulatoire, je souhaite (modestement) par cette mise en abyme, sans nostalgie, témoigner de la vie d’avant dans nos campagnes et (r)éveiller les consciences sur l’urgence de penser notre société autrement et je veux aussi mettre en avant un point de vue sur notre société, celui des femmes cinéastes amateures.
Après plusieurs périodes de résidences de création à : Pass'âges - Centre de Ressources Culture et Mémoire de Tiercé (49), CICLIC Patrimoine à Issoudun (36), La Cité du Film au Mans (72), au Théâtre Epidaure de Bouloire (72), au Foirail à Chemillé-en-Anjou (49), le projet verra le jour en les 13-14 mai 2022 en avant-premières à Chemillé-en-Anjou (49) puis jouera ses premières représentations le 27 mai 2022 à Issoudun (36) aux "Fêtes de La Tour Blanche", puis le 07 juin 2022 à Montfort-le-Gesnois (72) avec le Théâtre Epidaure, du 20 au 23 juillet 2022 à Chalon-sur-Saône (71) au Festival "Chalon dans la rue" et jouera la saison prochaine le 09 octobre 2022 à Saint-Calais (72), le 02 décembre 2022 à Mayenne (53), le 03 juin 2023 à Doué-la-Fontaine (49).....
Didier, comment ce projet va-t-il prendre vie ?
Nous allons d'abord nous appuyer sur un fonds documentaire existant de récits de vie d’habitantes déjà collectés que j’ai découvert lors d’une résidence artistique en 2016 dans le cadre d’un CLEAC porté par la Communauté de Communes Anjou Loir et Sarthe dans le Maine et Loire. La commune de Tiercé (49) dispose d’un lieu nommé «PASS’ ÂGES», un Centre de Ressources Culture et Mémoire qui archive 3 000 témoignages, de récits des habitants du territoire (de Durtal, Sèches-sur-Le Loir à Jarzé), enregistrés et consignés au début des années 2000. Les habitants y racontent leur vie au village des années 1920 à nos jours. Ces récits de vie abordent les sujets suivants : le progrès • les souvenirs de l’enfance et de la jeunesse • la vie et le travail à la ferme ou au village • l’occupation allemande et l’arrivée des Américains à la libération • les fêtes de village • le mariage, la condition féminine • les sorties en ville, les bals .... Une réécriture va se faire à partir de tous ces récits de vie afin d’imaginer la vie à la campagne de notre héroïne imaginaire Suzanne, une vie ordinaire. Les récits seront lus par une comédienne comme des extraits de son journal et viendront s’appuyer sur un montage de films d'archives projetés dans des vitrines de magasins à l'abandon et accompagnés par un musicien en direct sur une scène mobile. A travers une sélection d’extraits de films sélectionnés au sein de Ciclic Centre-Val de Loire et de récits de vie, notre héroïne, Suzanne - ancienne commerçante et cinéaste amateure, incarnera à elle seule toutes ces femmes qui rêvaient de liberté et qui voyaient le monde à travers l’objectif de leur caméra.
Didier, quel est votre rapport avec l'archive audiovisuelle ?
Avec le projet "Arrêts sur Images", c'est la première fois que je travaille, que j'imagine, que je raconte une histoire à partir de vraies images d'archives amateures et j'en suis tout excité. Notre héroïne Suzanne prend vie à travers de multiples récits et visages, à différentes époques et en différents lieux et je trouve cela très émouvants et extraordinaires. L'image d'archive a une valeur patrimoniale évidente, une petite bobine de 3 minutes peut nous dire beaucoup de choses sur notre société à une époque donnée, sur un lieu, sur la mode, les pratiques culturelles. Je suis fasciné par ces cinéastes amateurs qui de cinéastes familiaux sont devenus des documentaristes le plus souvent involontaires qui ont filmé les fêtes locales, les artisans, la nature, le sport, les voyages... avec une vraie présence au monde, une immense liberté, celle de créer !
Avec la Cie Jamais 203, mon objectif a toujours été de mettre en scène l'image, de rendre hommage au cinéma amateur et de recréer l'instant magique et convivial de la projection comme à l'origine du cinématographe. J'ai créé des ciné-spectacles avec un support de prédilection : le film Super 8, le plus petit format de pellicule argentique, avec lequel j'ai tourné de nombreux petits films que j'ai utilisé et mis en scène dans des petites formes, des entresorts joués dans des festivals de rue et de cinéma, pour une poignée de spectateurs dans des petits lieux insolites (des magasins, des appartements, des halls d'immeubles) ou des habitacles de véhicules comme "Les Vacances de Mr et Mme Toulemonde" dans une 203 Peugeot transformée en petite salle de cinéma pour 3 spectateurs, ou "Le TUB de l'été" dans un HY Citroën amaénagé en camping-car pour 6 spectateurs ou encore "Le Cinérotic" pour 1 spectateur sous une jupe sur une bicyclette. J'ai aussi imaginé également d'autres formes scéniques plus importantes en salle ou en plein air avec des films en Super 8 plus importants et plus scénarisés, muets et doublés, avec voix, bruitages, commentaires et musiques en direct et en public comme "Roger est à bout de souffle" dans le style nouvelle vague et plus récemment "L'Agent 00203 contre Mr K" tourné sur une période de plus de 20 ans. Tous ses films tournés depuis 1997, des centaines de petites bobines dans l'esprit des films amateurs d'époques, films de famille, de vacances, scopitones, fictions, etc... sont aujourd'hui nos propres archives et nous travaillons avec pour nos spectacles, avec les bobines d'origine ou des copies, et des bobines numérisées.
Didier, pour vous qu'est-ce-qu'un film de famille ?
Dans mes précédents spectacles, à travers mon personnage Roger Toulemonde, cinéaste amateur de son état, j'ai l'habitude de dire "le film de famille c'est comme la photo mais en mieux, ça bouge, c'est vivant et puis ça fait des souvenirs ! " Au delà de l'anedocte, c'est la mémoire de la famille mais c'est aussi toujours un peu notre histoire à toutes et à tous, celle de monsieur et madame tout-le-monde ! Je l'ai mesuré véritablement quand nous jouions notre premier spectacle "Les vacances de Mr et Mme Toulemonde" dans ma 203 en diverses régions en France et à l'étranger, que ce soit en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Irlande et même au Québec, les spectateurs y retrouvaient leurs propres souvenirs ou ceux de leur famille. J'y ai découvert l'universalité du film de famille avec nos petits films tournés-montés en Super 8 en 1997, très sarthois (baignade à Coco-plage, randonnées dans les Alpes mancelles, la visite du Zoo de La Flèche, en route vers Pornic, etc...) et dans le style époque fin des années 1950- début 1960.
Le film de famille est de la famille de la photographie de souvenir (les pauses, les regards caméra, la discontinuité). En fait, un film de famille réactive la mémoire, nourrit la parole, il est une façon de vaincre le temps, de perpétuer la famille, c'est la vie quoi ! Un film de famille n'a pas spécialement à raconter d'histoire puisque souvent ceux qui le voit ont vécu ce dont il parle. C'est un point de vue particulier sur la vie de la famille.
Ciclic Centre-Val de Loire s'est engagée auprès de la Compagnie Jamais 203 en mettant à disposition les récits de vie des habitants de la région Centre-Val de Loire. En partenariat avec la ville d'Issoudun ce spectacle se jouera lors du prochain festival des Fêtes de la Tours Blanche à Issoudun le 27 mai 2022.
Le projet est encore en cours de construction, encore un peu de patience. Cependant, comme pour chaque résidence, nous vous proposons une sélection "coup de coeur" de nos artistes, vous y trouverez le film Bain de savon et de soleil de Roger Thomas, les Actualités de Marolles-les-Baults de Raymond Fortin mais aussi un film de Jeanne Bonneau au camping de Villeneuve. Bon visionnage.
