Stretching - Propos du réalisateur

Entretien avec François Vogel

Comment est née l’idée de Stretching ?
Ça fait longtemps que j’avais envie de filmer des choses en rapport avec l’architecture répétitive, de trouver des motifs dans les immeubles ou dans le mobilier urbain et de jouer avec ce côté répétitif. Je suis parti à New York pour faire une publicité. J’ai décidé de faire le film en même temps avec l’idée de faire ce corps à corps avec la ville. J’étais à vélo avec mon appareil (Nikon D 200, ndlr) dans mon sac et le pied. Quand je voyais un truc qui m’intéressait, je m’arrêtais et je filmais.

Es-tu parti avec un scénario ?
Non, juste avec un concept visuel. Il n’y a pas vraiment d’histoire mais il y a un début et une fin. C’est un peu une journée avec des respirations, des moments plus rythmés. J’ai pensé le film plus en terme de rythme qu’en terme d’histoire. Dès qu’on élabore une histoire avec des acteurs, on rentre dans un processus d’organisation. Et moi j’aime bien être un peu libre, improviser.

Quelle est ta technique?
La pixilation, c’est-à-dire l’animation image par image d’un comédien (moi en l’occurrence) : je pose l’appareil photo, je déclenche en utilisant le retardateur, je me positionne et ça prend la photo. Pour gagner du temps, j’utilise l’intervallomètre de mon appareil en programmant une photo toutes les 10 secondes. Je lance l’intervallomètre et je sais que je vais avoir 10 secondes pour prendre la pose, déplacer l’appareil d’un cran par rapport à l’architecture et reprendre une nouvelle pose avant que l’appareil ne se re-déclenche. Pour le placement et le déplacement de l’appareil photo, c’est complètement du pifomètre, mais je me sers quand même de ce qui existe dans le site. Souvent les séquences architecturales verticales des bâtiments sont liées à l’horizontal. Cela m’a bien aidé. Donc je calais le pied de l’appareil sur les traits des dalles au sol  et je me déplaçais aussi en fonction de ça.

La partie du « bidouillage » informatique qui a suivi est-elle importante?
En temps, elle est beaucoup plus importante que le tournage, que j’ai fait en moins de trois jours, pour à peu près trois semaines de travail de post-production. Ce travail varie selon la façon de filmerqui varie dans ce court métrage. Il y a celle où j’ai l’appareil photo avec un fish-eye (prise de vues à 180°). Là c’est relativement simple, je re-stabilise l’image. Je me cale sur les repères et j’essaie, en image par image, de les recaler. L’autre façon de filmer se fait avec une sorte de harnais qui contient l’appareil photo, et sur lequel est fixée une boule de Noël chromée (à 80 cm environ de l’objectif)dont je photographie le reflet. Là on est dans la prise de vues à 360°. Je projette le reflet dans l’espace de l’ordinateur et je le re-filme dans l’ordinateur, sans oublier de gommer le reflet de l’appareil photo dans la boule.

Le grand angle est ta marque de fabrique.
Depuis tout petit, j’ai toujours été fasciné par la vision au grand angle. Depuis longtemps, je me dis : "Pourquoi est-ce qu’on n’essaie pas de regarder les choses qui sont aussi visibles sur notre rétine mais auxquelles on ne prête pas attention, qu’on ne voit que pour pouvoir se protéger de quelque chose ?".
Il y a aussi les miroirs de sorcières. C’est un truc fascinant. Tout le monde a pu faire l’expérience de regarder, dans sa salle de bains, le reflet du robinet de la baignoire.
Quand j’étais adolescent, j’adorais M. C. Escher. Il y a des illustrations qui m’ont vraiment marqué. Surtout une estampe qui représente un personnage qui regarde une peinture dans un musée. La peinture qu’il regarde se tord et se déplie à l’extérieur de son cadre. C’est une boucle : "Je regarde, je suis regardé, je regarde, je suis regardé…". Je me sens vraiment proche de ces questions-là.

Tes dispositifs de fabrication des images sont presque tous bricolés. Cela fait penser à Méliès, la technologie en plus.
Oui, oui, c’est du bricolage, et je suis un fan de Méliès. En même temps c’est assez scientifique, comme le travail de Zbigniew Rybczinski (« bricoleur » de génie également, ndlr) qui est aussi une de mes influences. Je suis également influencé dans mon travail vidéo par ce que je fais en photo. Notamment, j’ai fabriqué beaucoup d’appareils photo sans objectif. Ce que je fais en ce moment dans mes courts métrages est vraiment une approche animée de cette technique qui s’appelle le sténopé (dispositif optique sans objectif).
Ce qui m’intéresse en tant que fabricant d’image c’est de créer une distance dans la représentation. C’est-à-dire que le fait de triturer l’image, que ce soit par des distorsions ou des fragmentations, crée une distance entre le réel et ce qu’on regarde. C’est un travail sur le support ; c’est presque sculpter les rayons lumineux qui sont entre le sujet et la caméra.

Clermont-Ferrand, le 12 mars 2010

François Vogel

Réalisateur, photographe, né en 1971 à Meudon.

Formation

1988 : baccalauréat C
1993 : diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD), section cinéma, animation, vidéo
1994 : service militaire comme tambour en Nouvelle-Calédonie
1995 : monteur truquiste au studio de post-production Fearless
1996 : post-diplôme à l'Atelier d'Images et d'Informatique de l'ENSAD

Filmographie

Courts métrages (vidéo, Super 8, 16 mm, 35 mm)

1991 : Les poissons me connaissent
1992 : Le bruit de la vrillette
1993 : Estouffade
1995 : La sieste sous les cocotiers / Un cirque vraiment extraordinaire / Cueillette
1996 : Riante contrée
1997 : Monitor Awards 97 / Rue Francis / La poule Gérard / Poetica - "J'apparaîtrai quand tu seras tout triste"
1999 : Faux plafond
2000 : Kent - « Tout est là », clip musical
2001 : Rachid Taha - « Hey Anta », clip musical / Les crabes, co-réalisé avec Stéphane Lavoix
2002 : Live@the end, clip musical / Trois petits chats
2004 : Les 7 hommes de Mireille Poukisse
2006 : Tournis
2007 : Cuisine
2008 : After the rain, clip musical / Rébus
2009 : Stretching
2010 : Terrains glissants
2011 : This Thirst