Stretching et l'histoire des arts

Histoires plastiques

Parmi les différentes manières d’associer Stretching à d’autres œuvres d’art, nous proposons ici un travail en deux temps, d’une part sur le burlesque, d’autre part sur les arts plastiques.

Stretching et le burlesque

Même si Stretching n’est pas à proprement parler un film burlesque, il en possède quelques ingrédients. Le personnage, muet, le visage lunaire, souffle et bâille un peu, mais n’exprime aucune émotion particulière. En cela, il n’est pas loin de Buster Keaton. Indifférent à la vie trépidante de la cité et aux autres personnes dans la rue, il exécute ses exercices avec constance et sérieux. Là encore, le héros burlesque, qu’aucun obstacle ne peut détourner de son but, transparaît. L’anachronisme de ses exercices peut également prêter à sourire. On s’aperçoit très vite que c’est un sportif d’opérette : tenue pas très appropriée (à laquelle s’ajoute un blouson qui apparaît puis disparaît en cours de route) et exercices d’étirement farfelus (pianotage des doigts sur un plot, extension approximative des pieds, petit mouvement ridicule de rotation du poignet…). On sent bien qu’il joue la comédie. Et c’est vers Harpo, des Marx Brothers, autre personnage lunaire et muet, qu’il nous entraîne. Quand, au début du film, le personnage nous est présenté appuyé, bras tendu, contre le mur, on peut penser à Harpo au début du long métrage Une nuit à Casablanca (Archie Mayo, 1946), qui tient un mur pour ne pas qu’il s’écroule malgré l’incrédulité du policier qui veut le faire circuler. Quand, par magie, le personnage sort une bouteille d’eau et une banane de sa poche, c’est encore Harpo, sortant des objets insolites des poches de son trench-coat dans La Pêche au trésor (David Miller, 1949), qui nous vient à l’esprit.

Bien évidemment, nous ne sommes pas dans un burlesque délirant, mais la musique d’Alain Cure, ritournelle électronique habillée d’onomatopées et de mots improbables (repetto, a pato, mami, hoppé hoppé…), nous dirige aussi vers le registre de la légèreté et de la fantaisie. Le chœur de voix graves contrastant avec les notes aigrelettes renforce l’anachronisme cité plus haut. Et la première fois que notre personnage s’arrête pour souffler, ce chœur n’hésite pas à pousser un « Oh ! » d’accompagnement comique ou pour le moins dérisoire, qui assoit Stretching du côté d’une veine burlesque.

Stretching et les arts plastiques

Rendre compte de l’espace qui nous entoure est bien la finalité des plasticiens. Dans le tableau de Jan Van Eyck (1390 – 1441), Les Epoux Arnolfini on peut voir, sur le mur du fond, un miroir appelé miroir de sorcière. Ce type de miroir convexe réfléchit une image panoramique comme les affectionne François Vogel. Dans cette œuvre de la Renaissance, le peintre, dans ce détail du miroir, décide de s’écarter de la représentation basée sur la perspective à point de fuite. D’autres artistes seront tentés par la déformation des images ou l’anamorphose : du tableau Les Ambassadeurs2 de Hans Holbein le Jeune (1497 - 1543), seule la vision latérale révèle une représentation d’un crâne anamorphosé (ce lien permet de voir le crâne à travers le reflet d’une cuillère, qui fait office de miroir de sorcière).
Les artistes contemporains, de façon plus systématique, se sont tournés vers ce type de représentation. Ainsi l’Op Art, aussi appelé art cinétique ou art optique, qui a donné lieu à des œuvres en général abstraites, caractérisées par la répétition d’un motif, des espaces équivoques et une sensation de mouvement. De ce point de vue, les séquences-intermèdes de façades d’immeubles dans Stretching s’apparentent au travail d’artistes Op Art dont un des plus connus est Victor Vasarely (1906 – 1997).
Mais la parenté est encore plus grande avec les artistes travaillant, sur le même mode, du côté de l’image réaliste. Ainsi est-il intéressant de se pencher sur l’œuvre de Maurits Cornelis Escher (1898 – 1972) qui a marqué François Vogel. Escher est également fasciné par les miroirs sphériques (boules chromées ou équivalents), les espaces paradoxaux et le motif. Les œuvres Hand with Reflecting Sphere (1935), Still Life with Spherical Mirror (1934), Three Spheres II (1946) sont de brillants exemples de ses visions panoramiques. Quant à l’œuvre Print Gallery (1956), elle réunit tout ce qui fait l’univers de François Vogel : un espace distordu mais cohérent graphiquement où, pour faire simple, le personnage central regarde un tableau dans une galerie qui fait également partie du tableau. Toute la « pensée » de Vogel est là : celui qui regarde un espace est inscrit dans cet espace et peut, à son tour, être regardé.
Enfin, plus proche de nous, le sculpteur britannique, né à Bombay en 1954, Anish Kapoor (voir notamment, sur le site de l’artiste, les 2 photos de Cloud Gate - 2004, Millenium Park, Chicago - et les 2 photos de Sea Mirror – 2006), a développé, à travers quelques œuvres monumentales, son concept de la vision panoramique. Anish Kapoor a été choisi par la municipalité de Londres pour la construction de la tour olympique, qui se veut le monument emblématique de la capitale britannique pour les Jeux de 2012.

Tout cela démontre que dans l’histoire de l’art (cinéma compris), l’envie de dépasser la représentation du monde en deux dimensions de façon traditionnelle a (presque) toujours existé. En dehors des motifs pécuniaires, l’actuelle frénésie vers le cinéma en relief participe de cet élan.

Antoine Lopez, 2010