— Publié le 12/09/2017

Mange tes morts

Fiche film

MANGE TES MORTS un film de Jean-Charles Hue

France / 2014 / fiction / 1h34 / Capricci Films

Sortie nationale le 17 septembre

Sélection officielle, 46ème Quinzaine des réalisateurs, Festival de Cannes 2014. Prix Jean Vigo, 2014.

Jason Dorkel, 18 ans, appartient à la communauté des gens du voyage. Il s’apprête à célébrer son baptême chrétien alors que son demi-frère Fred revient après plusieurs années de prison. Ensemble, accompagnés de leur dernier frère, Mickael, un garçon impulsif et violent, les trois Dorkel partent en virée dans le monde des « gadjos » à la recherche d’une cargaison de cuivre.

Avec Jason François, Michael Dauber, Frédéric Dorkel, Moïse Dorkel, Philippe Martin / Scénario et réalisation Jean-Charles Hue / Image Jonathan Ricquebourg / Son Antoine Bailly / Montage Isabelle Proust / Décors Christophe Simonnet / Musique Vinvent-Marie Bouvot / Production Capricci Production / Distribution Capricci Films.

Ce film a bénéficié d'un soutien à l'écriture et à la production de Ciclic-Région Centre en partenariat avec le CNC.

Le tournage en région Centre s'est déroulé du 9 septembre au 3 octobre 2013 dans l'Indre et Loire et le Loiret. 

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A PROPOS DE MANGE TES MORTS

En 2011, sortait La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue, qui explorait le quotidien d’une communauté de Yéniches installés à Beauvais. Ce film étonnant abolissait les limites entre fiction et documentaire pour raconter les conflits familiaux dans la famille Dorkel, et en particulier l’éveil religieux et spirituel de Fred, voleur animé d’un caractère explosif, qui décide de se ranger du bon côté et de s’amender suite à sa rencontre avec un ange. Entre l’hyperréalisme et une touche discrète d’onirisme, Jean-Charles Hue témoignait d’un formidable sens de l’observation, sans aucun doute grâce à son expérience avec cette communauté qu’il connaît et filme depuis 2003, ayant pris le temps de se faire accepter comme l’un des leurs (le fait que sa mère porte le même nom que les Dorkel l’a beaucoup aidé, semble-t-il).

Sans doute conscient de leur fascinante photogénie, l’envie de créer une pure fiction autour des Dorkel s’est finalement  imposée comme une évidence : ils ont tous de vraies gueules de cinéma, et on ne dira jamais assez à quel point Fred Dorkel a une présence et un charisme exceptionnel. Mange tes Morts (qui est l’insulte suprême chez les gitans) se présente cette fois-ci comme un film de genre, scénarisé à 100%, à mi-chemin entre le western et le film noir, sans rien renier de la vérité documentaire de ses personnages. Pas vraiment une suite donc, plutôt un prolongement dans l’univers fascinant de ces gens du voyage.

Le film débute par la présentation de Jason Dorkel, 18 ans, en pleine virée à moto avec son cousin Moïse. Il s’apprête à célébrer son baptême chrétien tandis que son frère Fred revient de prison. Il ne faudra pas longtemps pour que celui-ci l’embarque dans une grosse galère avec son autre frère Michael. Les quatre yéniches se retrouvent ensemble à la recherche d’une cargaison de cuivre chez les « gadjos », mais évidemment, cette chevauchée nocturne en bagnole ne va pas se dérouler comme prévu.

Comme dans le film précédent,  la religion semble être la bouée de sauvetage ultime pour ses personnages, toujours aussi facilement tentés par la délinquance, et donc obligés de se protéger intérieurement pour ne pas y sombrer. On retrouve cette même obsession pour ce choix radical entre le bon et le mauvais chemin, plus précisément entre une vie de chrétien et une vie de chouraveur (voleur). C’est pourquoi les cérémonies évangélistes prennent autant d’importance dans cette communauté. Pour Jason, le baptême est encore le seul vrai rempart.

Ces grandes préoccupations morales ne sont pas sans rappeler les questionnements récurrents issus d’un certain cinéma américain, en particulier le western crépusculaire (on pense parfois à Peckinpah ou au John Ford de L’Homme qui tua Liberty Valance). Assumant parfaitement cette filiation (alors que La BM du Seigneur lorgnait plutôt du côté de Jean Rouch), Jean-Charles Hue s’autorise même certains plans iconiques, comme la découverte d’une voiture d’époque dans une cave.  De même, le langage utilisé par ces yéniches, avec leurs drôles d’expressions (« tchor » pour voler ou les « chmidts » pour la police), pourrait lointainement évoquer l’argot utilisé par les gangsters des films français des années 50-60, tels Touchez pas au Grisbi.

Et c’est ainsi que le film de genre français semble enfin renaître sous nos yeux, assez prodigieusement, plutôt que d’imiter bêtement et sans saveur les ficelles usées du cinéma hollywoodien. Jean-Charles Hue l’a compris: pour réussir un vrai film de genre, il faut avant tout puiser au cœur de sa propre mythologie, déjà en germe dans le monde voyageur. 

Source : Le Passeur critique