Jamais comme la première fois ! - Mise en scène

Un imaginaire ancré dans la réalité

La structure de Jamais comme la première fois ! est classique et simple à appréhender (quatre histoires vraies réunies par une même thématique), à l’inverse du traitement graphique, dont le foisonnement et la stylisation peuvent paraître contraire à la sobriété des récits. Le carton qui ouvre le film nous précise que nous allons entendre des témoignages récoltés entre les mois d’août et d’octobre 2002. Ainsi, le film se présente comme un documentaire, puisqu’il rend compte d’une parole réelle. Néanmoins, ce carton initial n’explicite pas plus avant le contenu des témoignages. Le spectateur est bien sûr orienté par le titre du film, "Jamais comme la première fois !", mais cette première fois pourrait recouvrir bien des choses. C’est seulement lors du quatrième plan du premier témoignage que nous pouvons être certains qu’il s’agit bien de la première expérience sexuelle, lorsque la voix off dit "Il l’avait fait. Il ne parlait que de ça depuis la classe de 5e". Aucun mot explicite n’est prononcé, le "ça" suffit, et témoigne de la pudeur avec laquelle ces témoignages vont être traités.

Anonymes et universels

Dès les premières images, nous sommes frappés par le décalage entre la vérité de la parole entendue et le traitement de l’image. Jonas Odell semble utiliser pleinement la liberté visuelle que lui permet la voix off pour trouver à chaque fois la distance la plus juste entre voix et images. Il interprète visuellement chaque témoignage, recrée les événements tels que les voix peuvent les laisser imaginer, accentuant plus ou moins le contexte social et historique. Malgré tout, la mise en scène laisse assez d’espace au spectateur pour qu’il puisse se projeter dans chacune des histoires.
À aucun moment nous ne verrons ceux qui témoignent mais nous les identifierons aux personnages animés, qu’ils aient ou non un visage. L’absence ou la présence d’un visage a chaque fois une signification différente. L’absence de visage dans le deuxième témoignage n’a pas été choisie pour les mêmes raisons que dans le troisième, et la présence d’un visage, dans la première partie comme dans la quatrième, permet de lier chaque expérience à une époque ou un âge précis. À aucun moment nous ne ressentons le besoin de voir le vrai visage des personnes/personnages, car l’ensemble des témoignages nous renvoie à quelque chose d’à la fois universel et intime.

Reconstitutions

Visuellement, chaque partie est traitée différemment. Le réalisateur a choisi un graphisme qui, selon lui, se rapprochait de l’esprit de chaque témoignage. Le premier a un rendu vintage, avec un graphisme rappelant celui des années 1950 aux États-Unis, en écho au thème de la soirée à laquelle le personnage assiste. Les personnages principaux ont l’aspect de pantins en papier découpé et les autres personnages sont simplement détourés de noir, le décor est succinct, les personnages évoluant le plus souvent sur fond blanc. Cette partie est réellement centrée sur les trois personnages, ce qui est en parfaite adéquation avec le témoignage, puisque le « héros » fait abstraction de tout pour "le faire". Ce souvenir prend place dans une époque incertaine et le spectateur, quel que soit son âge, peut facilement se projeter, identifier des émotions qui ont pu être les siennes à l’adolescence.
Les personnages de la seconde partie sont simplement détourés en blanc sur le décor en images réelles qui apparaît en transparence à travers eux, symbolisant le non-événement qu’a pu représenter cette première expérience sexuelle. Contrairement à la première partie, le décor est très marqué, la temporalité aussi, via les pages du calendrier qui défilent. Cet événement a été attendu, planifié, il est le point de mire d’une relation dont il sonnera la fin, sans que le sentiment ou l’excitation transparaisse, ce que l’on ressent grâce aux personnages, aux gestes précis mais sans visage. Le choix de la prise de vues réelles pour les décors lie le témoignage à une époque et à un lieu donnés, tout en les rendant assez généraux pour que le spectateur puisse s’y projeter.

Si le second témoignage évoque un souvenir précis, presque scientifiquement, la troisième partie est celle de la mémoire défaillante, du souvenir morcelé et  incomplet, ce qui est visuellement souligné par différents éléments, dont l’absence de visage des personnages. Les images saccadées et qui se brouillent, le montage, l’absence ou la présence de décor selon les plans, les effets visuels, sont tous là pour marquer les incertitudes du témoignage, tout comme l’esprit perturbé du personnage à ce moment. Les photos et la rotoscopie en noir et blanc plongent ce témoignage dans une réalité morbide, et l’absence d’images correspondant aux trous de mémoire ne peut que nous inciter à imaginer le pire.
Enfin, le quatrième fragment clôt le film sur un sentiment d’apaisement. Il s’agit du témoignage le plus "historique", car il est ancré dans une période relativement lointaine (1927) et contextualise l’expérience contée par un homme dont ont devine ainsi l’âge sans que celui-ci ne soit dit. Le multi-plan et les choix graphiques (notamment les personnages ressemblant aux dessins publicitaires des années 1920) appuient l’aspect historique du témoignage, tout comme le côté "pop-up" des décors qui se déploient, comme un livre dont on tourne les pages. Les personnages aux visages figés, dont seuls les yeux bougent en se fermant et s’ouvrant deviennent touchant grâce à la voix off, mais aussi à la mise en scène qui élude l’acte sexuel lorsque la caméra s’écarte des personnages pour monter vers le ciel. Cette fois, ce n’est pas le trou de mémoire qui empêche la représentation, mais simplement la pudeur et le respect face à un acte d’amour qui, d’ailleurs, n’est pas décrit par celui qui l’a vécu, mais bien compris par le spectateur.

Cécile Giraud-Babouche, 2011